La médecine agit souvent comme un grain de sable dans le sport de haut niveau. L’histoire survenue à l’international français du Real Madrid Lassana Diarra, éjecté brutalement de l’équipe de France samedi avant le Mondial sud-africain, en est un parfait exemple. Une affaire peu claire, où se mêlent silences troublants et secrets médicaux ébréchés. Le tout sur fond d’intérêts financiers, et qui aboutit à une mise à l’écart… que rien ne justifie pourtant du strict point de vue médical selon les spécialistes.

Ellipse. Reprenons les différents épisodes. A l’occasion donc d’un stage en haute altitude à Tignes (2 100 mètres), le milieu défensif se sent mal. On parle alors de maux de ventre. Diarra, ce n’est pas n’importe quel joueur: 25 ans, 27 sélections, le Real, Arsenal et Chelsea sur le CV. Finalement, il s’en va. Le staff tricolore donne dans l’ellipse : «Maladies imprévisibles», pas un mot de plus. Jean-Pierre Escalettes, président de la FFF : «Je suis bouleversé. C’est un joueur exemplaire, qui a toujours mouillé le maillot dans son club et pour l’équipe de France.» Puis :«Diarra doit être très malheureux. Il s’agit d’un problème médical. Je suis loin d’être un expert, et il y a un secret médical, mais j’ai totalement confiance dans le docteur. S’ils ont pris cette décision, c’est qu’elle s’imposait.»

Est-ce si sûr ? De fait, le secret médical est très vite balayé. Le jour même, on apprend que Diarra est atteint de drépanocytose : l’information vient du Real Madrid, employeur du joueur à l’année, auquel personne ne demandait rien. Sur le site Internet du club, on apprend que Diarra souffre d’un «syndrome asthénique dû à une anémie à hématies falciformes», terme technique pour une drépanocytose. Cette maladie de l’hémoglobine est bien connue. De transmission génétique, elle concerne principalement les personnes d’origine noire africaine. Il en existe deux formes. Une forme homozygote, parfois appelée forme majeure : celle-ci est sérieuse, obligeant à une prise en charge médicale permanente parce que les patients sont très anémiés et ne peuvent pas vivre sans être transfusés. Tous les experts le disent : cette forme-là n’est pas compatible avec le sport de haut niveau.

A côté, il existe ce que l’on appelle une forme mineure ou hétérozygote, simplement parce qu’au lieu d’avoir deux gènes malades les individus n’ont qu’un gène atteint. C’est manifestement cette forme dont est atteint Diarra. «Dans ce cas-là, le sport de haut niveau n’est nullement déconseillé», nous explique le professeur Fréderic Galactéros, meilleur spécialiste français et responsable de l’unité fonctionnelle des maladies génétiques du globule rouge à l’hôpital Henri-Mondor à Créteil. Le médecin note : «Il y a même beaucoup de sportifs de haut niveau qui sont porteurs de ce trait génétique. Pour des efforts de type explosifs, on peut même considérer qu’ils sont avantagés.»

Altitude. Sont-ils néanmoins des malades ? «Non. Leur seul souci, c’est qu’ils peuvent avoir des problèmes en altitude», précise le professeur Galectéros. Mais alors, comment se fait-il que les médecins du Real ne l’aient pas signalé ? Et pourquoi n’ont-ils pas déconseillé un stage en haute montagne ? «Je ne crois pas à une volonté délibérée, répond le médecin. En France, mais encore plus en Espagne, il y a un grand retard en termes de santé publique. Peu d’informations circulent. C’est une maladie négligée. Le joueur n’a peut-être pas eu tous les conseils. Pour autant, passé cet incident, il peut jouer au haut niveau. Sa capacité reste pleine et entière. Il n’y avait aucune raison médicale à le retirer du groupe. C’est même stupide. Si le joueur revient à la bonne altitude, tout va bien.» Certes, mais les Bleus joueront aussi à Johannesbourg, 1 700 mètres d’altitude. «Aucune importance, tranche Galactéros. La limite, c’est 2 500 mètres.» En clair : Diarra, qui n’est plus que remplaçant au Real depuis des mois, n’a pas été retiré du groupe des mondialistes pour cause de drépanocytose. Mais alors, pourquoi ? (Source: LIBERATION)